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Le phénomène de chimiorésistance est un mécanisme biologique universel, décrit dans tout le règne vivant, allant des virus aux mammifères. Les résistances aux antiparasitaires sont préoccupantes, car elles restreignent les possibilités de lutte contre les parasites. En effet, le nombre de familles chimiques utilisables est limité et compte tenu des coûts très élevés pour le développement de molécules originales, les possibilités d'extension de la pharmacopée antiparasitaire seront de toute façon très restreintes.
Définition de la Résistance aux Antiparasitaires
"Une population chimiorésistante est une population de parasites ayant génétiquement acquis la capacité de résister à des concentrations d'antiparasitaires habituellement létales pour des individus de cette espèce" OMS, 1957.
Il s'agit en effet d'un phénomène évolutif qui résulte d'une sélection génétique. Les individus devenus résistants par mutation génétique sont au début peu nombreux, mais leur développement et leur abondance sont favorisés par une pression de sélection qui est exercée par l'emploi d'antiparasitaires. La résistance reposant sur un déterminisme génétique, un nématode résistant l'est à tous ses stades de vie: larvaires ou adultes.
Mécanismes de Résistance
Divers mécanismes de résistance ont été mis en évidence:
- Modifications comportementales: fuite face à un insecticide (mécanisme décrit chez les Muscidés et les Culicidés).
- Augmentation des capacités de détoxication par le parasite lui-même: décrit chez les insectes, les acariens et les strongles. Il s'agit, par exemple, d'une augmentation de la production par les arthropodes et les nématodes de certaines estérases qui vont modifier la structure de l'antiparasitaire et favoriser son élimination; ou de système de détoxication particulier comme les P-gP (P-glycoprotéines) qui éjectent les molécules "étrangères" des cellules. Ce dernier mécanisme a été démontré chez les nématodes résistants aux benzimidazoles et surtout aux avermectines et milbémycines.
- Modification quantitative et qualitative des récepteurs aux antiparasitaires: décrit chez les arthropodes et les nématodes (par exemple la mutation de la béta-tubuline chez les nématodes résistants aux benzimidazoles). Le site principal d'activité des benzimidazoles est constitué par la béta-tubuline dont deux isotypes principaux sont dépendants de 2 gènes particuliers. Chez Haemonchus contortus, la résistance aux benzimidazoles a lieu lors d'une mutation de l'acide aminé 200 (Phe en Tyr) du gène correspondant à l'isotype 1 de la béta-tubuline.
Conditions d'apparition de la Résistance
L'apparition de la résistance est le plus souvent liée à l'emploi répété des antiparasitaires, anthelminthiques ou insecticides, et parfois à des erreurs d'utilisation. Certains facteurs liés aux parasites ou aux méthodes d'élevage peuvent jouer un rôle non négligeable dans l'apparition des résistances.
- Fréquence d'utilisation:
Plus la fréquence d'utilisation d'un antiparasitaire est élevée, plus la pression de sélection est importante. Le risque maximal est représenté par une utilisation à une fréquence correspondant à la période prépatente.
C'est ainsi que dans un élevage de poneys des traitements bimestriels furent administrés pendant 4 années avec du cambendazole, puis avec de l'oxibendazole pendant 14 années. Les taux d'efficacité de ces traitements diminuèrent régulièrement pour atteindre moins de 20% à la fin de cette période (Lyons ET, et al, 1994, Vet Parasitol, 52(3-4); 271-7).
- Molécules ou procédés rémanents:
L'utilisation de molécules ou de procédés rémanents (comme les diffuseurs intra-ruminaux) peuvent induire une pression de sélection permanente par rapport à des traitements discontinus. En fin d'activité, ces produits induisent un "effet de queue", période pendant laquelle la molécule active se situe en dessous de 90% d'activité, d'où des risques élevés de sélection d'une population parasitaire résistante, particulièrement lorsque la rémanence à faible taux d'activité est d'autant plus longue.
- Sous-dosages ou surdosages:
Les sous-dosages permettent la survie d'individus hétérozygotes qui portent des allèles de résistance. Ils interviennent dans le développement de résistances polygéniques, qui sont surtout observés chez les helminthes. Il faut cependant que ces sous-dosages soient supérieurs à 50% de la dose létale. L'administration de très faibles doses ne semble pas sélectionner d'individus chimiorésistants, car de nombreux individus chimiosensibles ont la capacité de survivre.
Des surdosages peuvent entraîner la sélection d'individus très résistants, ce phénomène est surtout observé chez les arthropodes vis à vis des pyréthrinoïdes.
- Alternance ou association de molécules:
Une alternance trop rapide des molécules antiparasitaires peut entraîner une co-sélection de parasites résistants aux deux anthelminthiques. A l'inverse, les associations de 2 antiparasitaires de familles différentes semblent retarder l'apparition de résistances.
- Résistance unique, de famille ou multiple:
La résistance du parasite peut se manifester vis à vis d'une substance chimique unique (résistance simple), d'un groupe de molécules ayant le même mode d'action (résistance de famille) ou à un ensemble de molécules ayant des modes d'action différents (résistance multiple).
En ce qui concerne les benzimidazoles, il est clairement démontrée que la résistance, liée à une mutation des récepteurs ainsi qu'à une augmentation des mécanismes de détoxication (Beugnet et al, 1997), est un phénomène touchant l'ensemble du groupe chimique.
En ce qui concerne les macrolides antiparasitaires, la résistance est aussi commune à tout le groupe : des helminthes chimiorésistants à l'ivermectine le sont à la moxidectine, pour des doses létales équivalentes (Conder et al, 1994 ; Vermunt, 1996) . A l'inverse, les posologies thérapeutiques ne sont pas comparables, et une dose de 0,2 mg/kg de moxidectine peut, dans certains essais être efficace, alors que la même posologie thérapeutique d'ivermectine ne l'est pas (Craig et al, 1992). Comme cela est observé avec d'autres antiparasitaires, cette efficacité de terrain est de courte durée.
- Facteurs liés aux parasites ou aux méthodes d'élevage:
Des cycles de vie rapides, une grande prolificité des parasites ainsi que leur capacité de résistance dans le milieu extérieur sont autant d'éléments qui peuvent favoriser l'émergence de populations parasitaires résistantes.
Le surpâturage ou une grande concentration d'animaux induit le plus souvent une surcontamination des pâtures et la nécessité de rythmes thérapeutiques plus fréquents. Le mélange des classes d'âge dans le même pré entraîne une contamination accrue des jeunes animaux.
Quelques exemples de Résistance aux Antiparasitaires
Le phénomène de résistance aux produits antiparasitaires est apparu il y a une quinzaine d'années dans les pays tropicaux (Amérique du Sud, Afrique, Australie, Nouvelle Zélande) du fait d'une climatologie favorable à la prolifération des parasites et à l'utilisation fréquente des antiparasitaires.
En Europe et en Amérique du Nord, les mêmes observations ont commencé dans les années 90.
- Les strongles des ruminants:
Cette résistance aux antiparasitaires est surtout observée vis à vis des strongles digestifs parasites des ovins et caprins. Ce phénomène est particulièrement important dans les pays tropicaux où l'élevage ovin subit de très lourdes pertes économiques.
En Europe, des enquêtes ont montré que la prévalence des élevages ovins et caprins confrontés au phénomène de résistance aux antiparasitaires est passé de 47% à 80% entre 1983 et 1994 (Danemark, Pays-Bas, Grande Bretagne).
Pour des raisons chronologiques liées à la mise sur le marché des antiparasitaires, les résistances des strongles sont d'abord apparues vis-à-vis des benzimidazoles. Elles sont maintenant décrites pour toutes les familles d'anthelminthiques: benzimidazoles, lévamisole, pyrantel, macrolides antiparasitaires, closantel, oxyclozanide.
- Les coccidies aviaires:
La chimiorésistance des coccidies aviaires aux anticoccidiens est bien documentée en élevage, en particulier vis-à-vis de l'amprolium, mais semble moins fréquente en élevage de ruminants.
- Les arthropodes:
Les résistances aux insecticides, et en tout premier lieu aux plus utilisés que sont les organophosphorés et les pyréthrinoïdes, sont décrites depuis plusieurs années chez les Muscidés lécheurs ou piqueurs. La résistance des tiques est surtout décrite dans les régions tropicales, mais en France on note quelques résistances de poux broyeurs du genre Bovicola et d'acariens de la gale du genre Psoroptes aux pyréthroïdes.
Comment évaluer la Chimiorésistance ?
En dehors de tests biologiques basés sur des méthodes biochimiques ou de biologie moléculaire pratiquées dans des laboratoires de recherche, il existe des tests relativement simples qui permettent d'apporter une suspicion de résistance sans toutefois pouvoir la quantifier. Ces tests in vivo sont fondés sur l'observation de l'infestation parasitaire des animaux avant et après traitement antiparasitaire.
Pour estimer une éventuelle résistance de strongles digestifs, on réalise un test coproscopique appelé FECRT (Faecal Egg Count Reduction Test). On réalise donc une coproscopie et une coproculture sur des animaux (minimum 5 par classe d'âge) n'ayant pas reçu de traitement anthelminthique depuis au moins 4 semaines.
On traite alors les animaux en respectant la posologie recommandée.
Puis un deuxième examen coproscopique est réalisé 10 à 14 jours après le traitement.
Le calcul du pourcentage de réduction du nombre d'œufs de strongles est réalisé.
% de réduction de ponte =
nombre d'œufs avant traitement - nombre d'œufs après traitement x 100 nombre d'œufs avant traitement
Si le pourcentage obtenu est inférieur à 90%, il y a suspicion de résistance. S'il est supérieur à 90%, la population de parasites est considérée comme chimiosensible.
Qu'en est-il de la chimiorésistance chez les chevaux ?
A l'heure actuelle, des phénomènes de résistance aux anthelminthiques sont décrits chez les cyathostomes ou petits strongles.
C'est tout d'abord une résistance au thiabendazole qui a été décrite en 1965 puis en 1974. Mais à partir de la fin des années 80 un certain nombre d'articles ont indiqué l'émergence de nombreuses populations de cyathostomes résistantes aux autres benzimidazoles.
La résistance des cyathostomes aux benzimidazoles est aujourd'hui décrite dans la majorité des pays du monde et d'Europe : Etats-Unis, Royaume-Uni, Hollande, Danemark, Norvège, Suède, Allemagne, France. La fréquence des populations chimiorésistantes peut être importante. Collobert et al, 1997 indiquent que la résistance aux benzimidazoles se retrouve dans 60% des haras de Normandie. Les études des espèces de cyathostomes montrent que la plupart, probablement toutes, sont capables de devenir résistantes. Les suivis conduits par E.T.Lyons et al, 1996, indiquent la fréquence du phénomène au sein de populations de Cyathostomum catinatum, Cyathostomum coronatum, Cylicocyclus nassatus, Cylicostephanus goldi et Cylicostephanus longibursatus. Il s'agit en fait des espèces les plus fréquentes, par conséquent les plus soumises au processus de sélection.
Les benzimidazoles, par leur utilisation abondante et leur ancienneté ont été les premiers intéressés. S'il semblait y avoir à l'origine des variations d'efficacité des benzimidazoles, avec la description de l'activité de l'oxibendazole sur des petits strongles résistants à d'autres benzimidazoles (E.T.Lyons et al, 1994), il ne s'agissait en fait que d'un phénomène transitoire. On sait aujourd'hui que la résistance est de famille et touche l'ensemble des molécules ayant un même mode d'action.
Plus récemment, et probablement du fait du remplacement des benzimidazoles par le pyrantel, des résistances à ce principe actif ont été publiées. Certaines populations de cyathostomes sont d'ailleurs multirésistantes aux benzimidazoles et au pyrantel (Chapman et al, 1996 ; Coles et al, 1999).
Comme l'indiquent Llyod et Soulsby, 1998, l'émergence des résistances est inévitable, et la question n'est pas " de savoir Si la résistance va se développer, mais Quand ? ". Son développement et son extension doivent être retardées par des mesures de lutte adaptée vis-à-vis des strongyloses équines. Ces mesures doivent associer des méthodes sanitaires et les vermifugations (Proudman and Matthews, 2000). Ces dernières doivent prendre en compte la nécessité de conserver l'usage des anthelminthiques. Aujourd'hui, aucune résistance n'est décrite vis-à-vis des avermectines/milbémycines. C'est l'usage raisonné de ce groupe qui permettra d'en prolonger l'utilisation. Il faudra notamment veiller à ne pas vermifuger à outrance, et utiliser à bon escient les spécialités rémanentes, qui augmentent le processus de sélection des gènes de résistance (Sangster et al, 1999 ; LeJambre et al, 1999, Kaplan and Little, 2000).
Cette sélection peut se faire durant la saison, mais elle est plus importante lors des traitements d'automne. Les larves ingérées, devenant EL3 et ayant survécu à l'anthelminthique, donneront autant d'adultes résistants à l'origine de la population parasitaire de la saison suivante.
D'autre part, la meilleure façon d'éviter l'apparition de ces chimiorésistances consiste à alterner les différentes familles d'anthelminthiques actifs et à mettre en place des protocoles de vermifugation correspondant au mieux aux cycles des différents parasites.
De façon à mieux prévenir l'émergence des résistances, ou à la diagnostiquer lorsqu'elle est présente, il est désormais indispensable de mettre en place des dépistages sur le terrain. Le test le plus simple, appelé FECRT pour " Fecal Egg Count Reduction Test " repose sur la coproscopie quantitative et le calcul de la réduction du nombre d'œufs de parasites après traitement.
Bibliographie :
Beugnet F et Kerboeuf D.: La résistance aux antiparasitaires des ruminants. Point Vét. 1997, 28: 1949-1956.
Chapman MR et al.: Identification and characterization of a pyrantel pamoate resistant cyathostome population. Vet Parasitol., 1996, 66: 205-212.
Craven J. et al.: Survey of anthelmintic resistance on Danish horse farms, using 5 different methods of calculating faecal egg count reduction. Equine Vet. J., 1998, 30: 289-293.
Llyod S. and Soulsby: Is anthelminthic resistance inevitable: back to basics? Equine Vet. J., 1998, 30: 280-283.
Lyons ET. et al.: Control of cambendazole-resistant small strongyles (population S) with oxibendazole in a pony band: an 8 year field test (1984-1992). Vet. Parasitol., 1994, 52: 271-277.
Sangster N.: Pharmacology of anthelminthis resistance in cyathostomes: will it occur with the avermectin/milbecins? Vet. Pra., 1999, 85: 189-204.
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