Hypothèse sur l'origine de la Myoglobinurie atypique des équidés
La myoglobinurie atypique des équidés : une nouvelle maladie ?
Introduction
En 1986, une équipe de scientifiques écossais (Hosie et al., 1986) décrivait une série de cas de myopathies aiguës observés chez des chevaux au pré à l'automne 1984 et au
printemps 1985 dans l'Est et le Sud Ouest de l'Ecosse. A partir de 1988, plusieurs autres cas sont décrits dans la littérature scientifique : en Angleterre (WHITWELL et al.,
1988), en Allemagne (BRANDT et al., 1997) et en Belgique (DELGUSTE et al.).
En mai 2001, une enquête réalisée auprès de 19 facultés vétérinaires européennes
permet de recenser plus de 40 cas récents dans 7 des pays sollicités (Irlande, Suisse, Danemark et Lettonie). En automne 2002, la France découvre à son tour le syndrome baptisé en 1985 " myoglobinurie atypique ".
L'anazootie Française et Belge de l'automne 2002
L'alerte a été déclenchée le 7 novembre par un vétérinaire des Vosges. Ce vétérinaire sentinelle du RESPE (Réseau d'Epidémiosurveillance des Pathologies Equines) a signalé plusieurs décès rapides et inexpliqués de chevaux
dans le département de la Meuse. Le tableau clinique comportait de l'ataxie, une raideur musculaire très importante, de l'abattement, des urines foncées et de la sudation (sans manifestation de coliques, ni d'hyperthermie). Les animaux
atteints étaient principalement de jeunes chevaux à l'herbage (poneys, traits et chevaux de selle). Les malades étaient généralement stationnés sur une même parcelle. Le
taux de mortalité était particulièrement élevé. Les décès survenaient en moyenne 12 à 72h après le début des symptômes.
Les chevaux rescapés étaient ceux qui avaient fait très précocement l'objet de soins intensifs dans des cliniques vétérinaires. La Wallonie avait été touchée il y a deux ans par ce
même syndrome qui avait occasionné le décès d'environ 40 chevaux et poneys (DELGUSTE et al.). Le même scénario s'est reproduit cette année avec une quarantaine de
cas recensés. Les caractéristiques de la population touchée étaient proches de celles décrites cette année en France. Il y a deux ans, l'impression dominante avait été que les cas
se déclaraient dans un contexte de nuits fraîches (sans toutefois de gel important), de températures douces en journée et d'un taux d'humidité très élevé. Cette année, beaucoup
de cas se sont déclarés après la tempête qui a sévit en octobre.
Observation Anatomo-Pathologiques
Onze autopsies ont été réalisées par les vétérinaires ou des structures universitaires (en France, Suisse, Belgique et Allemagne). A l'examen nécropsique, les lésions décrites
étaient essentiellement une décoloration des muscles squelettiques (associée parfois à de la nécrose et des hémorragies) et du muscle cardiaque. Ces lésions étaient
souvent associées à une congestion et à de l'oedème pulmonaire. De l'urine brune et épaisse était présente dans la vessie.
L'examen histologique des organes décrivait des foyers inflammatoires de dégénérescence et de nécrose sur la plupart des muscles ainsi que des lésions de dégénérescence
hépatique (avec vacuolisation des hépatocytes). Des lésions de néphrose ont également été mentionnées. Les examens hémato-biochimiques indiquaient de
façon constante une augmentation très importante des CPK (plus de 20 000 UI/L), des gamma GT et des phosphatases alcalines. Les dosages de la bilirubine et du
fibrinogène étaient également augmentés. Ces modifications étaient fréquemment associées à un déséquilibre phospho-calcique (chute du calcium, augmentation du
phosphore). La physiopathogénie de ces modifications hémato-biochimiques reste encore à élucider.
Localisation des foyers français
Au 23 décembre 2002, le RESPE recensait 86 malades présentant un tableau clinique et lésionnel compatibles
avec le syndrome " myoglobinurie atypique ". L'anazootie a duré un peu plus d'un mois (premier cas enregistré le 17 octobre, dernier cas le 30 Novembre 2002). Les malades
étaient répartis dans 36 foyers (1 à 14 malades par foyer) (Figure 1). Le taux de létalité a été particulièrement important
(79%) avec 68 décès enregistrés pour 86 malades .
Figure 1 : Recensement des cas compatibles avec le syndrome
"myoglobinurie atypique" (17/10 au 30/11/2002). Source :
RESPE-AFSSA Dozulé
Bull. Acad. Vét. France - 2003 - Tome 156 - N°1 www.academie-veterinaire-france.fr
Enquête épidémiologique
L'enquête épidémiologique et les examens complémentaires ont rapidement été orientés vers l'hypothèse d'une intoxination ou d'une intoxication en relation avec l'environnement proche des animaux.
Un questionnaire épidémiologique élaboré par l'équipe du Dr Amaury (Université de Liège) a été adressé par le RESPE à chaque cabinet vétérinaire nous ayant fait part de
cas suspects. Les premières informations font état de chevaux en bon état physique, parfois complémentés au pré. Il est probable que la forte représentation des races poneys,
selles et traits soit liée aux pratiques d'élevage (plein air intégral) dans ce type de population résidant dans les régions concernées. Plus de 50% des animaux atteints sont
âgés de moins de 4 ans.
La plupart des questionnaires mentionnent des pluies abondantes (avec parfois des vents violents) et des températures relativement douces dans les jours précédant l'apparition
des cas. Les prairies sur lesquelles étaient stationnés les animaux sont majoritairement des prairies naturelles à la flore assez variée (ray-grass, dactyle, pâturin, trèfle..),
humides et bordées par différentes variétés d'arbres (principalement : sapins, érables, chênes, frênes ; moins fréquemment : bouleaux, platanes, aulnes, peupliers, tilleuls, robiniers, acacias, châtaigniers, sureau, if).
Hypothèse sur l'origine de la Myoglobinurie atypique des équidés
Des investigations se poursuivent afin de tenter d'identifier l'origine de cette anazootie. L'hypothèse d'une myopathie nutritionnelle par carence en vitamine E et sélénium
a été écartée. L'hypothèse la plus plausible semble être une intoxication par des végétaux ou des substances produites par des champignons microscopiques (mycotoxines) qui se
seraient trouvés (de part la saison et les conditions climatiques) en quantité plus importante que d'ordinaire dans l'environnement des animaux atteints. Des analyses effectuées
sur des chevaux non malades présents sur les mêmes parcelles que les animaux décédés témoignent qu'ils ont été soumis à la même exposition mais dans une moindre
mesure (effet dose).
Parmi les causes connues de myopathies toxiques chez le cheval, les phytotoxines de certaines plantes du genre Cassia, Eupatorium, Gossypium, Karwinskia, Ixioloena,
Cystisum ou Lupinum ont été citées dans la littérature. Cependant, aucune de ces plantes n'a été identifiée dans, ou à proximité, des parcelles visitées.
Le contexte d'apparition des malades (série de cas sur une courte période, associée à une saison et à des conditions climatiques particulières) a orienté les investigations vers
des mycotoxicoses. Plusieurs mycotoxines sont connues pour être toxiques, voire spécifiquement myotoxiques chez le cheval (OSWEILER, 2001). La principale difficulté réside
dans la recherche des toxines dans les prélèvements réalisés sur les animaux morts (sang, foie, reins, contenu digestif). Des analyses toxicologiques ciblées sont envisagées
mais les études menées depuis deux ans par nos confrères belges sont restées à ce jour infructueuses.
Auteurs
Claire Moussu(1), Anne Saison(1), Frédéric Bermann(2),
Pierre-Hugues Pitel(3), Michel Bernadac(4), Stéphane Zientara(5)
(1) AFSSA Dozulé-LERPE, service Epidémiologie, route de Caen, 14430 Goustranville
(2) Laboratoire de biologie équine, 860 Route de Paris, 60520 La Chapelle en Serval,
(3) Laboratoire départemental Frank Duncombe, 1 route de Rosel, 14053 Caen
(4) FNCF - Pasteur Cerba, 10 Boulevard Malesherbes, 75008 Paris
(5) AFSSA Alfort, Laboratoire Maladies émergentes et Virologie équine, 22 rue P. et M. Curie, BP 63, 94703 Maisons-Alfort
Bibliographie et remerciements
Aux membres du RESPE et aux vétérinaires ayant géré les foyers recensés, au Docteur Pineau (CNITV Lyon), aux Services de
Protection des Végétaux de Picardie, de Lorraine et d'Ile de France, à la FREDEC du Calvados, aux Directions des Services vétérinaires
des départements atteints, au Dr Delguste (université de Liège), au professeur Deprez (université de Gan), au professeur Staub
(université de Bern).
BRANDT K, HINRICHS U, GLITZ F, LANDES E, SCHULZE C, DEEGEN E, POHLENZ J, COENEN M (1997) Atypische Myoglobinurie der Weidepferde. Pferdeheilkunde, 13, 27-34.
HOSIE B D, GOULD PW, HUNTER A R, LOW J C, MUNRO R, WILSON H C (1986) Acute myopathy in horses at grass in east and south east Scotland. Vet. Rec., 119, 444-449.
OSWEILER G D (2001) Mycotoxins. Vet. Clin. North. Am. Equine Pract. 17 (3), 547-566.
WHITWELL K E, HARRIS P, FARRINGTON P G (1988) Atypical myoglobinuria : an acute myopathy in grazing horses. Equine Vet. J. 20, 357-363.
DELGUSTE C, SANDERSEN C, AMORY H, CASSART D (à paraître) Myoglobinurie atypiques chez des chevaux au pré : une série de cas en Belgique. Annales de Médecine Vétérinaire.
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