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Sujet commencé par : Capsou13 - Il y a 25 réponses à ce sujet, dernière réponse par csabrina
Par Capsou13 : le 17/11/09 à 21:13:31

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 Coucou tout l'monde,

Et non, ce n'est pas pour un truc d'anglais que j'ai besoin de vous... Mais ça concerne bel et bien le français !

J'ai un examen d'expression orale en décembre. Pour cet examen, je dois réciter, déclamer, un texte d'une page.

Seulement voilà, j'ai pas d'inspiration concernant le texte...
Donc je fais appel à vous !

Toutes vos idées sont les bienvenues.

Messages 1 à 25, Page : 1

Par conny : le 17/11/09 à 21:20:04

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 euh tu as le droit de prendre un texte sur n'importe quoi? le cheval?

Par Capsou13 : le 17/11/09 à 21:22:29

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Non, ça doit être un texte de littérature française. Faut quand même que ma prof se sente "concernée", "intéressée" par ce que je raconte.  

Par Capsou13 : le 17/11/09 à 21:23:04

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 Enfin, c'est peut-être exagéré de dire "littérature française", mais ça doit être un texte d'un auteur connu.

Par Val Kenzack : le 17/11/09 à 21:23:57

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 J'aime bcp ce texte, qui dégage une certaine force :

Il n'y a pas d'amour heureux

--------------------------------------------------------------------------------

Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux

Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux

Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour à tous les deux


Louis Aragon (La Diane Francaise, Seghers 1946)




Par dilou : le 17/11/09 à 21:24:39

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 Commence par te demander ce qui t'intéresse.. Pour bien déclamer il faut aimer ou au moins s'intéresser, à ce qu'on dit..
De quoi aurais-tu envie de parler ?
Si tu as des idées, on peut ensuite t'aider à trouver des textes.

Par monreve : le 17/11/09 à 21:25:02

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 Magnifique Val Kenzack !

Par manou78 : le 17/11/09 à 21:25:36

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 + 1 avec Dilou

Par ludovic06 : le 17/11/09 à 21:27:16

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 ne m'es rien

Par Capsou13 : le 17/11/09 à 21:33:26

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J'ai pas tellement envie d'un poème...

J'm'étais penchée vers un texte de Freud ou Descartes, mais la syntaxe est un peu trop compliquée... Puis j'ai pas trouvé de texte que j'aimais vraiment bien.

Il doit vraiment remplir toute une page A4. Le poème Val, est trop court.

Philosophie, psychologie... Je sais pas... 

Par dilou : le 17/11/09 à 21:43:32

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 Tu dois l'apprendre par coeur ou tu peux le lire ?

Par Capsou13 : le 17/11/09 à 21:45:40

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Je dois l'apprendre par coeur.  

Par dilou : le 17/11/09 à 21:51:03

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 J'existe. C'est doux, si doux, si lent. Et léger: on dirait que ça tient en l'air tout seul. Ça remue. Ce sont des effleurements partout qui fondent et s'évanouissent. Tout doux, tout doux. Il y a de l'eau mousseuse dans ma bouche. Je l'avale, elle glisse dans ma gorge, elle me caresse - et la voila qui renaît dans ma bouche, j'ai dans la bouche à perpétuité une petite mare d'eau blanchâtre - discrète - qui frôle ma langue. Et cette mare, c'est encore moi. Et la langue. Et la gorge, c'est moi.
Je vois ma main, qui s'épanouit sur la table. Elle vit - c'est moi. Elle s'ouvre, les doigts se déploient et pointent. Elle est sur le dos. Elle me montre son ventre gras. Elle a l'air d'une bête à la renverse. Les doigts, ce sont les pattes. Je m'amuse à les faire remuer, très vite, comme les pattes d'un crabe qui est tombé sur le dos. Le crabe est mort: les pattes se recroquevillent, se ramènent sur le ventre de ma main. Je vois les ongles - la seule chose de moi qui ne vit pas. Et encore. Ma main se retourne, s'étale à plat ventre, elle m'offre à présent son dos. Un dos argenté, un peu brillant - on dirait un poisson, s'il n'y avait pas les poils roux à la naissance des phalanges. Je sens ma main. C'est moi, ces deux bêtes qui s'agitent au bout de mes bras. Ma main gratte une de ses pattes, avec l'ongle d'une autre patte ; je sens son poids sur la table qui n'est pas moi. C'est long, long, cette impression de poids, ça ne passe pas. Il n'y a pas de raison pour que ça passe. A la longue, c'est intolérable... Je retire ma main, je la mets dans ma poche. Mais je sens tout de suite, à travers l'étoffe, la chaleur de ma cuisse. Aussitôt, je fais sauter ma main de ma poche; je la laisse pendre contre le dossier de la chaise. Maintenant, je sens son poids au bout de mon bras. Elle tire un peu, à peine, mollement, moelleusement, elle existe. Je n'insiste pas: ou que je la mette, elle continuera d'exister et je continuerai de sentir qu'elle existe; je ne peux pas la supprimer, ni supprimer le reste de mon corps, la chaleur humide qui salit ma chemise, ni toute cette graisse chaude qui tourne paresseusement comme si on la remuait à la cuiller, ni toutes les sensations qui se promènent là-dedans, qui vont et viennent, remontent de mon flanc à mon aisselle ou bien qui végètent doucement, du matin jusqu'au soir, dans leur coin habituel.
Je me lève en sursaut: si seulement je pouvais m'arrêter de penser, ça irait déjà mieux. Les pensées, c'est ce qu'il y a de plus fade. Plus fade encore que de la chair. Ça s'étire à n'en plus finir et ça laisse un drôle de goût. Et puis il y a les mots, au-dedans des pensées, les mots inachevés, les ébauches de phrases qui reviennent tout le temps : "Il faut que je fini... J'ex... Mort... M. de Roll est mort... Je ne suis pas... J'ex..." Ça va, ça va... et ça ne finit jamais. C'est pis que le reste parce que je me sens responsable et complice. Par exemple, cette espèce de rumination douloureuse :
j'existe, c'est moi qui l'entretiens. Moi. Le corps, ça vit tout seul, une fois que ça a commencé. Mais la pensée, c'est moi qui la continue, qui la déroule. J'existe. Je pense que j'existe. Oh ! le long serpentin, ce sentiment d'exister - et je le déroule, tout doucement... Si je pouvais m'empêcher de penser ! J'essaie, je réussis : il me semble que ma tête s'emplit de fumée... et voila que ça recommence :
"Fumée... ne pas penser... Je ne veux pas penser... Je pense que je ne veux pas penser. Il ne faut pas que je pense que je ne veux pas penser. Parce que c'est encore une pensée."
On n'en finira donc jamais ?
Ma pensée, c'est moi: voilà pourquoi je ne peux pas m'arrêter. J'existe par ce que je pense... et je ne peux pas m'empêcher de penser.

Jean-Paul Sartre ("La Nausée". Philosophique, mais beau.

Par dilou : le 17/11/09 à 21:59:25

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  Nathanaël, à présent, jette mon livre. Emancipe-t’en. Quitte-moi ; maintenant tu m’importunes ; tu me retiens ; l’amour que je me suis surfait pour toi m’occupe trop. Je suis las de feindre d’éduquer quelqu’un. Quand ai-je dit que je te voulais pareil à moi ? C’est parce que tu diffères de moi que je t’aime ; je n’aime en toi que ce qui diffère de moi. Eduquer ! Qui donc éduquerais-je, que moi-même ? Nathanaël, te le dirai-je ? Je me suis interminablement éduqué. Je continue. Je ne m’estime jamais que dans ce que je pourrais faire.

Nathanaël, jette mon livre ; ne t’y satisfais point. Ne crois pas que ta vérité puisse être trouvée par quelque autre ; plus que de tout, aie honte de cela. Si je cherchais tes aliments, tu n’aurais pas de faim pour les manger ; si je te préparais ton lit, tu n’aurais pas sommeil pour y dormir.

Jette mon livre ; dis-toi bien que ce n’est là qu’une des mille postures possible en face de la vie. Cherche la tienne. Ce qu’un autre aurait aussi bien fait que toi, ne le fais pas. Ce qu’un autre aurait aussi bien dit que toi, ne le dis pas, aussi bien écrit que toi, ne l’écris pas. Ne t’attache en toi qu’à ce que tu sens qui n’est nulle part ailleurs qu’en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah ! le plus irremplaçable des êtres. "

"Du jour où je parvins à me persuader que je n'avais pas besoin d'être heureux, commença d'habiter en moi le bonheur ; oui, du jour où je me persuadai que je n'avais besoin de rien pour être heureux. Il semblait, après avoir donné le coup de pioche à l'égoïsme, que j'avais fait jaillir aussitôt de mon coeur une telle abondance de joie que j'en pusse abreuver tous les autres. Je compris que le meilleur enseignement est d'exemple. J'assumai mon bonheur comme une vocation."

"La peur de trébucher cramponne notre esprit à la rampe de la logique. Il y a la logique et il y a ce qui échappe à la logique. L'illogisme m'irrite, mais l'excès de logique m'exténue. Il y a ceux qui raisonnent et il y a ceux qui laissent les autres avoir raison. Mon coeur, si ma raison lui donne tort de battre, c'est à lui que je donne raison. Il y a ceux qui se passent de vivre et ceux qui se passent d'avoir raison. C'est au défaut de la logique que je prends conscience de moi. Ô ma plus chère et ma plus riante pensée ! Qu'ai-je affaire de chercher plus longtemps à légitimer ta naissance ? N'ai-je pas lu ce matin dans Plutarque, au seuil des Vies de Romulus et de Thésée, que ces deux grands fondateurs de cités, pour être nés "secrètement et d'une union clandestine" ont passé pour des fils de dieux ?..."

" Il y a sur terre de telles immensités de misère, de détresse, de gêne et d’horreur, que l’homme heureux n’y peut songer sans prendre honte de son bonheur. Et pourtant ne peut rien pour le bonheur d’autrui celui qui ne sait être heureux lui-même. Je sens en moi l’impérieuse obligation d’être heureux. Mais tout bonheur me paraît haïssable qui ne s’obtient qu’aux dépens d’autrui… Je préfère le repas d'auberge à la table la mieux servie, le jardin public au plus beau parc enclos de murs, le livre que je ne crains pas d'emmener en promenade à l'édition la plus rare, et, si je devais être seul à pourvoir contempler une oeuvre d'art, plus elle serait belle et plus l'emporterait sur la joie ma tristesse. Mon bonheur est d'augmenter celui des autres. J'ai besoin du bonheur de tous pour être heureux."

Gide,("Les Nourritures Terrestres"

Par Capsou13 : le 17/11/09 à 21:59:47

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 C'est joli comme tout...

Merci !

Par Val Kenzack : le 17/11/09 à 22:02:48

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« Ariane religieuse d’amour, Ariane et ses longues jambes chasseresses, Ariane et ses seins fastueux qu’elle lui donnait, aimait lui donner, et elle se perdait dans cette douceur par lui, Ariane qui lui téléphonait à trois heures du matin pour lui demander s’il l’aimait et lui dire qu’elle l’aimait, et ils ne se lassaient pas de ce prodige d’aimer, Ariane qui le raccompagnait chez lui, et ils ne pouvaient pas se quitter, ne pouvaient pas, et le lit des amours les accueillait, beaux et chanceux, vaste lit où elle disait que personne avant lui et personne après lui, et elle pleurait de joie sous lui.

Tu es belle, lui disait-il. Je suis la belle du seigneur, souriait-elle. Ariane, ses yeux soudain traqués lorsque, dissimulant son amour, il inventait une froideur pour être plus aimé encore, Ariane qui l’appelait sa joie et son tourment, son méchant et son tourmente-chrétien, mais aussi frère de l’âme, Ariane, la vive, la tournoyante, l’ensoleillée, la géniale aux télégrammes de cent mots d’amour, tant de télégrammes pour que l’aimé en voyage sût dans une heure, sût vite combien l’aimante aimée l’aimait sans cesse, et une heure après l’envoi elle lisait le brouillon du télégramme, lisait le télégramme en même temps que lui, pour être avec lui, et aussi pour savourer le bonheur de l’aimé, l’admiration de l’aimé.

Jalousies d’elle, séparations pour toujours, retrouvailles, langues mêlées, pleurs de joie, lettres, ô lettres des débuts, lettres envoyées et lettres reçues, lettres qui avec les préparatifs pour l’aimé et les attentes de l’aimé étaient le meilleur de l’amour, lettres qu’elle soignait, tant de brouillons préalables, lettres qu’elle soignait pour que tout ce qui lui venait d’elle fût admirable et parfait. Lui choc de sang à la poitrine lorsqu’il reconnaissait l’écriture sur l’enveloppe, et il emportait la lettre partout avec lui.

Lettres, ô lettres des débuts, attente des lettres de l’aimé en voyage, attentes du facteur, et elle allait sur la route pour la voir arriver et avoir vite la lettre. Le soir, avant de s’endormir, elle la posait sur la table de chevet, afin de la savoir près d’elle pendant son sommeil et de la trouver tout de suite demain matin, lettre tant de fois relue au réveil, puis elle la laissait reposer, avec courage s’en tenait loin pendant des heures pour pouvoir la relire toute neuve et la ressentir, lettre chérie qu’elle respirait pour croire y trouver l’odeur de l’aimé, et elle examinait aussi l’enveloppe, studieusement l’adresse qu’il avait écrite, et même le timbre qu’il avait collé, et s’il était bien collé à droite et tout droit, c’était aussi une preuve d’amour.

Solal et son Ariane, hautes nudités à la proue de leur amour qui cinglait, princes du soleil et de la mer, immortels à la proue, et ils se regardaient sans cesse dans le délire sublime des débuts. »

Albert Cohen, Belle du seigneur, Gallimard, 1979, pp. 356-357.

Par Val Kenzack : le 17/11/09 à 22:06:57

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 L'une des seules positions philosophiques cohérentes, c'est ainsi la révolte. Elle est un confrontement perpétuel de l'homme et de sa propre obscurité. Elle est exigence d'une impossible transparence. Elle remet le monde en question à chacune de ses secondes. De même que le danger fournit à l'homme l'irremplaçable occasion de la saisir, de même la révolte métaphysique étend la conscience tout le long de l'expérience. Elle est cette présence constante de l'homme à lui-même. Elle n'est pas aspiration, elle est sans espoir. Cette révolte n'est que l'assurance d'un destin écrasant, moins la résignation qui devrait l'accompagner.
C'est ici qu'on voit à quel point l'expérience absurde s'éloigne du suicide. On peut croire que le suicide suit la révolte. Mais à tort. Car il ne figure pas son aboutissement logique. Il est exactement son contraire, par le consentement qu'il suppose. Le suicide, comme le saut, est l'acceptation à sa limite. Tout est consommé, l'homme rentre dans son histoire essentielle. Son avenir, son seul et terrible avenir, il le discerne et s'y précipite. A sa manière, le suicide résout l'absurde. Il l'entraîne dans la même mort. Mais je sais que pour se maintenir, l'absurde ne peut se résoudre. Il échappe au suicide, dans la mesure où il est en même temps conscience et refus de la mort. Il est, à l'extrême pointe de la dernière pensée du condamné à mort, ce cordon de soulier qu'en dépit de tout il aperçoit à quelques mètres, au bord même de sa chute vertigineuse. Le contraire du suicidé, précisément, c'est le condamné à mort.
Cette révolte donne son prix à la vie. Étendue sur toute la longueur d'une existence, elle lui restitue sa grandeur. Pour un homme sans oeillères, il n'est pas de plus beau spectacle que celui de l'intelligence aux prises avec une réalité qui le dépasse. Le spectacle de l'orgueil humain est inégalable. Toutes les dépréciations n'y feront rien. Cette discipline que l'esprit se dicte à lui-même, cette volonté forgée de toutes pièces, ce face à face, ont quelque chose de puisant et de singulier. Appauvrir cette réalité dont l'inhumanité fait la grandeur de l'homme, c'est du même coup l'appauvrir lui-même. Je comprends alors pourquoi les doctrines qui m'expliquent tout m'affaiblissent en même temps. Elles me déchargent du poids de ma propre vie et il faut bien pourtant que je le porte seul. A ce tournant, je ne puis concevoir qu'une métaphysique sceptique aille s'allier à une morale du renoncement.
Conscience et révolte, ces refus sont le contraire du renoncement. Tout ce qu'il y a d'irréductible et de passionné dans un coeur humain les anime au contraire de sa vie. Il s'agit de mourir irréconcilié et non pas de plein gré. Le suicide est une méconnaissance. L'homme absurde ne peut que tout épuiser, et s'épuiser. L'absurde est sa tension la plus extrême, celle qu'il maintient constamment d'un effort solitaire, car il sait que dans cette conscience et dans cette révolte au jour le jour, il témoigne de sa seule vérité qui est le défi. Ceci est une première conséquence.


Camus, le Mythe de Sisyphe

Par Capsou13 : le 17/11/09 à 22:13:58

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Merci, merci, merci !

C'est le 1e que je préfère...

 

Par Val Kenzack : le 17/11/09 à 22:19:16

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  L'automne s'attarda sur les hauteurs des Falizes beaucoup plus longtemps que Grange ne s'y fût attendu; après des journées de pluie qui détrempaient le sous-bois et collaient sous les semelles des raquettes de feuilles pourries, tout à coup un vent d'Est sec et clair nettoyait le ciel et durcissait les chemins, en faisant crisser les feuilles des petits chênes qui pendaient encore partout aux branches; c'était comme un été de la Saint-Martin vif et coupant, déjà tout ourlé de gel, qui se fût aventuré au cœur même de décembre. Quand Grange descendait son escalier au petit matin, pour fumer sur la laie, après le café, sa première cigarette, il y avait une perle de gelée blanche à chaque brin d'herbe, mais déjà les pointes des branchettes laissaient couler sur le sable des bas-côtés leurs gouttes lourdes - au-dessus de la forêt, que ses chênes faisaient paraître encore feuillue, un ciel d'un bleu froid, d'un éclat de vitre, durcissait sous le vent fraîchi. Il aimait cette gelée qui raffermissait les routes, et portait parfois jusqu'à la maison forte le grincement de la petite scierie des Falizes et le craquement étoffé des arbres qui s'abattaient sous la hache: sur le chemin, où les brodequins cloutés arrachaient à la pierraille des étincelles, la matinée sentait le bois frais et la pierre à fusil - pendant quelques minutes, avec l'air acide de l'aube, malgré lui il respirait cette allégresse un peu ivre propre aux matins de guerre qui monte de la fatigue ôtée de neuf des épaules, du froid tonique de la belle étoile, de la liberté des chemins rouverts. Tous les signes de l'hiver approchant lui plaisaient; il aimait ce temps protégé où il abordait des longs sommeils et des journées courtes: c'était un temps volé qui dormait mal, mais meilleur à prendre que tout autre, pareil à ces vacances magiques qu'ouvre aux collégiens un incendie ou une épidémie.

Avant d'arriver aux Falizes, maintenant, il quittait la route à l'entrée de la clairière et prenait un chemin de terre qui se glissait entre la lisière des taillis et les clôtures d'épines des jardinets: rien ne lui plaisait autant, quand il était libre dès le lever, que d'éveiller Mona de bonne heure et d'entrer chez elle avec l'odeur du matin mouillé. Quand il arrivait très tôt, un étang de brouillard traînait encore sur les prairies, d'où sortaient seulement les maisons, la crête des haies et les touffes des pommiers ronds. Des cheminées glissait déjà un filet de fumée; quelquefois une femme, qui suivait à gué dans le brouillard une allée invisible, étendait, dès la première heure, sa lessive à sécher entre les carrés de légumes. Une idée de bonheur avait toujours été liée pour Grange aux sentiers qui vont entre les jardins, et la guerre la rendait plus vive: ce chemin lavé par la nuit, gorgé de plantes fraîches et d'abondance comestible, c'était pour lui maintenant le chemin de Mona; il abordait à la lisière des bois comme au rivage d'une île heureuse. La porte de Mona n'était jamais fermée - non pour que son ami pût entrer le matin sans la réveiller, mais parce qu'elle était par la race de ces nomades du désert que le déclic d'une serrure angoisse: où qu'elle fût, elle plantait toujours sa tente en plein vent. Quand Grange entrait, dans le carré de lumière grise que faisait la porte ouverte, il apercevait d'abord sur une table de cuivre le contenu de ses poches qu'elle avait vidées en vrac avant de se coucher, et où il y avait des clés, des bonbons à la menthe tout incrustés de miettes de pain, une bille d'agate, un petit flacon de parfum, un bout de crayon mordillé et sept ou huit pièces d'un franc. Le reste de la chambre était très obscur. Grange n'ouvrait pas les volets tout de suite; il s'asseyait sans bruit près du lit qui sortait un peu de l'ombre, vaste et ténébreux, éclairé d'en bas par les braises de la cheminée et le reflet gras des chenets de cuivre. Quand Mona s'éveillait, avec cette manière instantanée qu'elle avait de passer de la lumière à l'ombre (elle s'endormait au milieu d'une phrase, comme les très jeunes enfants), cinglé, fouetté, mordu, étrillé, il se sentait comme sous la douche d'une cascade d'avril, il était dépossédé de lui pour la journée; mais cette minute où il la regardait encore dormir était plus grave: assis à côté d'elle, il avait l'impression de la protéger. Le froid se glissait dans la pièce malgré le feu mourant; à travers les volets mal joints suintait une aube grise; un instant, il se sentait porté au creux d'un monde éteint, dévasté par de mauvaises étoiles, tout entier couvé par une pensée noire: il promenait les yeux autour de lui comme pour y chercher la coûteuse blessure qui faisait le matin si pâle, refroidissait cette chambre triste jusqu'à la mort. «Qu'elle ne meure pas», murmurait-il superstitieusement, et le mot éveillait dans la pièce aux volets fermés un écho distrait: le monde avait perdu son recours; on eût dit que de son sommeil même une oreille s'était détournée.

Par Val Kenzack : le 17/11/09 à 22:19:40

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 suite


Mona dormait à plat ventre, les couvertures enroulées autour d'elle, les bras étendus de tout leur long, les mains plongées sous le traversin agrippant le lit de ses deux bords, et Grange quand il se penchait sur elle souriait malgré lui, toujours étonné que même dans le sommeil la prise de ce petit corps sur ce qu'il avait reconnu une fois pour son bien et sa pâture fût si affamée. Souvent elle s'endormait nue; quand il soulevait un peu le drap sur son épaule, il comprenait que ce sommeil brusque d'enfant qui la terrassait et qui l'étonnait si fort avait mêlé au dernier moment à sa fatigue le souvenir d'un piège tendre: c'était comme si une hâte l'eût convoyée vers lui à travers toute la longue nuit d'hiver, et quelque chose lui bougeait dans le cœur: il se dévêtait vite, sans bruit, et s'allongeait à côté d'elle. Quelquefois il passait un de ses bras sous elle, et, glissant l'autre au creux de son ventre, la tenait un moment à bras-le-corps sans qu'elle s'éveillât, toute roulée dans son paquet de linges: de longues minutes, sentant monter jusqu'aux épaules, de ses bras fourmillants, la chaleur de ses mains pleines, il la regardait émerveillé et intimidé, comme une enfant volée qu'on emporte dans des couvertures. Il collait sa bouche contre son épaule: elle s'éveillait en une seconde, l'agrippait de ses deux mains, et tout de suite poussait contre le baiser son front têtu: elle était une pluie de baisers jamais lasse, un jeune orage de gaieté tendre et de gentillesse prodigue. Il sautait du lit nu, pour repousser les volets sur le matin maintenant clair où déjà la brume s'enlevait au-dessus du jardin et laissait glisser jusque dans les draps une grande tombée de soleil; épuisés, ils ne se désunissaient pas: des heures entières, baignés dans le soleil jaune qui faisait remuer doucement sur le mur une résille de branches, elle vivait le long de lui comme un petit espalier. Un doigt malin grattait à la porte, et Julia sans attendre de réponse entrait avec le plateau fumant du déjeuner. Grange ramenait le drap sur lui d'une secousse, mais Mona restait nue, dressée jusqu'à mi-corps hors du lit bouleversé, et Julia en se penchant pour poser le plateau riait un peu de son rire de gorge devant les seins légers et le ventre jeune qui sortait de l'écume des draps comme de la mer. «Sa maîtresse» songeait-il avec égarement, et à ce mot tout en lui fondait soudain dans une ivresse trouble: les yeux hardis et le sourire de cette autre bouche jeune et sevrée donnaient à ses baisers une espèce de délire où tout se mêlait. Rien ne le désorientait comme cette faim qu'il avait d'elle, où il n'y avait jamais de satiété, ni lassitude, et que sa première apparence, inquiétante, acide, si peu sensuelle, promettait si mal: qu'elle l'eût capturé, jeté sur son lit avec cette rapidité folle qui le laissait encore essoufflé lui en imposait; il y lisait la marque d'un génie tendre.


Gracq, Un balcon en forêt

Par bloody_paradise : le 17/11/09 à 22:28:46

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Pour être sûre de faire vomir ton examinateur s'il vient de déjeuner :

"Regarde donc, me dit un jour la petite Eugénie, qui commençait à se familiariser avec nous, et que six mois de bordel n'avaient rendue que plus jolie, regarde, Duclos, me dit-elle en se troussant, comme Mme Fournier veut que j'aie le cul toute la journée. Et en disant cela, elle me fit voir un placard de merde d'un pouce d'épaisseur, dont son joli petit trou de cul était entièrement couvert. -Et que veut-elle que tu fasses de cela? lui dis-je. -C'est pour un vieux monsieur qui vient ce soir, dit-elle, et qui veut me trouver de la merde au cul. -Eh bien, dis-je, il sera content, car il est impossible d'en avoir davantage." Et elle me dit qu'après avoir chié, la Fournier l'avait barbouillée à dessein. Curieuse de voir cette scène, dès qu'on appela cette jolie petite créature, je volai au trou. C'était un moine, mais un de ceux qu'on appelle des gros bonnets; il était de l'ordre des Cîteaux, gros, grand, vigoureux et approchant de la soixantaine. Il caresse l'enfant, la baise sur la bouche, et lui ayant demandé si elle est bien propre, il la trousse pour vérifier lui-même un état constant de netteté qu'Eugénie lui assurait, quoiqu'elle sût bien le contraire, mais on lui avait dit de parler ainsi. "Comment, petite coquine! lui dit le moine en voyant l'état des choses; comment, vous osez me dire que vous êtes propre avec un cul de cette saleté-là? Il faut qu'il y ait plus de quinze jours que vous n'ayez torché votre cul. Voyez un peu la peine que ça me donne; car enfin, je veux le voir propre, et il faudra donc d'après cela que ce soit moi qui en prenne le soin". Et en disant cela, il avait appuyé la jeune fille contre un lit et s'était placé à genoux, en bas des fesses, en les écartant de ses deux mains. On dirait d'abord qu'il ne fait qu'observer la situation; il en paraît surpris; peu à peu il s'y apprivoise, sa langue approche, elle en détache des morceaux, ses sens s'enflamment, son vit dresse, le nez, la bouche, la langue, tout semble travailler à la fois, son extase paraît si délicieuse qu'à peine lui reste-t-il le pouvoir de parler; le foutre monte à la fin: il saisit son vit, le branle et achève en déchargeant de nettoyer si complètement cet anus, qu'il ne semblait seulement plus qu'il eût pu être sale un instant. Mais le libertin n'en restait pas là, et cette voluptueuse manie n'était pour lui qu'un préliminaire. Il se relève, baise encore la petite fille, lui expose un gros vilain cul sale qu'il lui ordonne de secouer et de socratiser; l'opération le fait rebander, il se rempare du cul de ma compagne, l'accable de nouveaux baisers, et comme ce qu'il fit après n'est ni de mon ressort, ni placé dans ces narrations préliminaires, vous trouverez bon que je remette à Mme Martaine à vous parler des déportements d'un scélérat qu'elle n'a que trop connu et que, pour éviter même toutes questions de votre part, messieurs, auxquelles il ne me serait pas permis, par vos lois mêmes, de satisfaire, je passe à un autre détail."
(Les 120 journées de Sodome)



Non plus sérieusement, j'ai aussi une grosse préférence pour La nausée[/]

Par Jasmine : le 18/11/09 à 09:37:30

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Purée, apprendre un texte comme ça par coeur jte souhaite bcp de courage

Par aikimy : le 18/11/09 à 09:41:51

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3 remerciements
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 Vous me dites, Monsieur, que j'ai mauvaise mine,
Qu'avec cette vie que je mène, je me ruine,
Que l'on ne gagne rien à trop se prodiguer,
Vous me dites enfin que je suis fatigué.

Oui je suis fatigué, Monsieur, et je m'en flatte.
J'ai tout de fatigué, la voix, le coeur, la rate,
Je m'endors épuisé, je me réveille las,
Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m'en soucie pas.
Ou quand je m'en soucie, je me ridiculise.
La fatigue souvent n'est qu'une vantardise.
On n'est jamais aussi fatigué qu'on le croit !
Et quand cela serait, n'en a-t-on pas le droit ?

Je ne vous parle pas des sombres lassitudes,
Qu'on a lorsque le corps harassé d'habitude,
N'a plus pour se mouvoir que de pâles raisons...
Lorsqu'on a fait de soi son unique horizon...
Lorsqu'on a rien à perdre, à vaincre, ou à défendre...
Cette fatigue-là est mauvaise à entendre ;
Elle fait le front lourd, l'oeil morne, le dos rond.
Et vous donne l'aspect d'un vivant moribond...

Mais se sentir plier sous le poids formidable
Des vies dont un beau jour on s'est fait responsable,
Savoir qu'on a des joies ou des pleurs dans ses mains,
Savoir qu'on est l'outil, qu'on est le lendemain,
Savoir qu'on est le chef, savoir qu'on est la source,
Aider une existence à continuer sa course,
Et pour cela se battre à s'en user le coeur...
Cette fatigue-là, Monsieur, c'est du bonheur.

Et sûr qu'à chaque pas, à chaque assaut qu'on livre,
On va aider un être à vivre ou à survivre ;
Et sûr qu'on est le port et la route et le quai,
Où prendrait-on le droit d'être trop fatigué ?
Ceux qui font de leur vie une belle aventure,
Marquant chaque victoire, en creux, sur la figure,
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus
Parmi tant d'autres creux il passe inaperçu.

La fatigue, Monsieur, c'est un prix toujours juste,
C'est le prix d'une journée d'efforts et de luttes.
C'est le prix d'un labeur, d'un mur ou d'un exploit,
Non pas le prix qu'on paie, mais celui qu'on reçoit.
C'est le prix d'un travail, d'une journée remplie,
C'est la preuve, Monsieur, qu'on marche avec la vie.

Quand je rentre la nuit et que ma maison dort,
J'écoute mes sommeils, et là, je me sens fort ;
Je me sens tout gonflé de mon humble souffrance,
Et ma fatigue alors est une récompense.

Et vous me conseillez d'aller me reposer !
Mais si j'acceptais là, ce que vous me proposez,
Si j'abandonnais à votre douce intrigue...
Mais je mourrais, Monsieur, tristement... de fatigue.


Robert Lamoureux


J'aime beaucoup ce texte ...


Par Quiche : le 18/11/09 à 13:51:55

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9175 messages

14 remerciements
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 Bloody Paradise Sérieux moi j'aurais fait ça, déjà c'est tellement "choquant" que bien plus facile à retenir, et en plus au moins t'es sûre de marquer les gens!

Sinon: "Philosophique, mais beau" ça m'a fait rire

Par dilou : le 18/11/09 à 16:28:45

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38043 messages

851 remerciements
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  Ca va rarement ensemble.. les philosophes écrivent généralement avec une lourdeur désespérante..

Par csabrina : le 18/11/09 à 16:51:00

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 sinon un extrait d'un roman dans lequel les protagonistes sont à cheval, et ou il y a une description de la monture.
Il doit bien y avoir un grand auteur francais qui a fait ca, non ?

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